Around Wat Pho

Funérailles du roi Rama XI

Les veilleurs de l'aube

Le 25 octobre 2017

Début des cérémonies funéraires du Roi de Thaïlande Rama IX (Bhumibol Adulyadej) Veille de la crémation.

Le début de la séance photo a commencé vers les 5h du matin, en compagnie de mon fils Lulian me tenant lieu d'assistant. Avec les premiers rayons du soleil a 5h40 venant éclairer Democracy monument, sur l'avenue Ratchadamnoen, bouclée pour l'occasion, ainsi que dans tout le quartier de Phra Nakhon nous avons pu découvrir un spectacle, qui aujourd'hui encore me donne la chair de poule et m'envahi d'une intense émotion.

Les centaines de milliers de pèlerins tous vêtus de noir, se réveillaient après avoir passé plusieurs jours à dormir à même le trottoir, quelque soit leur âge, et s'apprêtaient à affronter la chaleur brulante des premiers rayons de soleil. Il régnait une ambiance absolument surréaliste, ou toute cette immense foule partageait sa douleur du départ de son dieu-vivant.

« Ce ne sont pas les photos qui sont importantes, mais ce que l'on ressent en les regardant. »

David Alan Harvey

Les Veilleurs de l’Aube

Bangkok ne dormait plus. Depuis des jours, elle retenait son souffle, comme si le temps s'était suspendu au seuil d'un adieu.

Sur les trottoirs bordant le Grand Palais, des milliers de silhouettes s’étaient installées, tapis humains de douleur et de fidélité. Certains étaient arrivés une semaine plus tôt, traversant le pays en bus, en train ou à pied, portant avec eux le strict nécessaire : une natte de paille, une bouteille d’eau, une photo du roi serrée contre le cœur. Les plus âgés s’étaient assis en tailleur, le regard perdu dans la pénombre, tandis que les jeunes, accablés de fatigue, s’endormaient à même l’asphalte, sous la clarté blême des réverbères.

Les nuits étaient fraîches, mais personne ne songeait à se plaindre. Les policiers distribuaient de minces couvertures, des bénévoles apportaient riz gluant et soupe chaude, et dans cet espace réduit à l’essentiel, une étrange harmonie régnait. Les conversations se faisaient à voix basse, par pudeur, comme si briser le silence eût été un sacrilège.

Les jours se ressemblaient, rythmés par l’attente, la ferveur et l’inébranlable volonté d’être là, témoin de l’Histoire.

Sous les parapluies noirs

La chaleur écrasait Bangkok comme un couvercle de plomb. L’asphalte exhalait une moiteur brûlante, et l’air, épais comme du miel, collait aux vêtements. Pourtant, ils étaient là, parfois depuis des jours, figés dans l'attente, par centaines de milliers, entassés sur les trottoirs, dans les ruelles adjacentes, le long des avenues qui menaient au Grand Palais.

Des ombres noires s’étendaient par vagues : des parapluies, innombrables, ouverts contre le soleil impitoyable. Leur toile tendue vibrait sous les bourrasques de chaleur, donnant à la foule un étrange relief mouvant. Sous ces abris fragiles, des visages brillaient de sueur, des fronts perlaient sous les bandeaux de deuil, et des corps fatigués s’affaissaient, cherchant un peu de répit contre un mur, un arbre, une marche d’escalier.

Les plus prévoyants avaient apporté des éventails, brassant sans cesse l’air sans jamais vraiment le rafraîchir. D’autres s’éventaient avec des feuillets distribués par les volontaires, où figurait l’image du roi en habits d’apparat. Certains, exténués, s’allongeaient sur le sol dur, la joue contre une bouteille d’eau tiédie, leurs rêves bercés par le bourdonnement étouffé de la foule.

La chaleur ne les ferait pas partir. Ni la fatigue. Ni l’inconfort. Ils attendaient, stoïques, serrés dans une patience silencieuse. Dans l’air flottait une odeur de jasmin fané et d’encens consumé, parfum du deuil et de la dévotion.

Et sous cette mer de parapluies noirs, le cœur de la Thaïlande battait à l’unisson, brûlant d’amour et de tristesse.